LES CARNETS DE ROUTE

SUR LA ROUTE...  |  LES REVIEWS  |  LES INTERVIEWS

> retour sommaire

Leila
26/02/2009
Le Grand Mix - Tourcoing (F)

Exceptionnel, le rendez-vous que nous fixe Leila au Grand Mix de Tourcoing l’est à plus d’un titre !
Tout d’abord, l’ex-claviériste de Björk ne donne pas exactement dans la prolixité, le fabuleux Blood, Looms and Blooms publié par Warp en juillet 2008 n’est que son troisième album en une dizaine d’années de carrière, et encore a-t-il fallu patienter pendant huit ans avant de le voir apparaître dans les bacs. En conséquence, Leila tourne peu, et lorsqu’elle tourne c’est avec une grande parcimonie (seulement 13 dates au programme de cette série de concerts répartis entre la France, l’Allemagne, la Suisse, la Belgique et les Pays-Bas).
Ensuite, Roya Arab (s½ur de Leila et voix de Londinium, le premier album d’Archive) et Luca Santucci (connu pour son travail avec Matthew Herbert et, évidemment, ses vocaux sur le dernier album de Leila) seront également de la partie.
Enfin, exceptionnelle, cette soirée l’est aussi parce que la jeune femme est réputée pour ses expérimentations sonores, soundscapes et autres bidouillages électro-ambient, et l’on sait que ce genre d’exercice sied davantage au studio qu’à la scène. De là à penser que nous sommes une poignée de privilégiés, plus invités que spectateurs, il n’y a qu’un pas. Et ce pas, Leila nous enjoint à le franchir dès les premières notes de Mettle, l’un des titres les plus forts de son dernier album, qu’elle a très judicieusement choisi pour ouvrir son concert.

Quelques mots sur l’aménagement de la scène, tout d’abord. Au centre, tout au fond : les équipements de la musicienne disposés en U, suivant un agencement qui évoque plus le poste de commande d’une salle des machines qu’un outil dédié à la création artistique. En surplomb de cette installation : un écran vidéo, qui diffuse, tantôt des animations illustrant les sons, tantôt la retransmission en direct des mains de Leila à l’½uvre sur ses consoles. Et, enfin, à l’extrémité droite du front de scène : un micro, dont s’empareront à tour de rôle Roya Arab, Luca Santucci ainsi qu’une troisième chanteuse dont le nom m’est inconnu, sorte d’apparition moulée dans une combinaison en latex doré et coiffé d’un (très) haut-de-forme doré également, qui semble tout droit sortie du Magicien d’Oz. La scène du Grand Mix aura rarement été aussi dépouillée ; et jamais, à ma connaissance, artiste n’aura été à ce point en retrait, pour ne pas dire cachée, du public ; et pourtant, quelle présence !

Rappelons, pour ceux qui ne le sauraient pas, que Leila ne chante pas ; elle délègue cette tâche à l’un ou l’autre de ses partenaires de scène, parfois ; mais, le plus souvent, elle privilégie les longues phrases instrumentales, les assemblages de sons, laissant ainsi à l’auditeur la liberté de chercher les mots, les sentiments que lui évoque ce qu’il entend.

Au fil d’une prestation parfaitement maîtrisée qui la voit explorer ses trois disques, la fée Iranienne exilée à Londres façonne devant nous les contours d’un univers musical emprunt de métissage, de mixité et de cette diversité propre aux individus de double-culture. Entre un Orient fui lorsqu’elle avait 7 ans et cet Occident qui l’héberge depuis 30 ans maintenant, Leila ne tranche pas, ne choisit pas : elle laisse les mélopées chatoyantes insinuer la texture électronique de ses compositions, à moins que ce ne soit l’inverse, et ce faisant, elle construit un monde de notes, de sons et d’ambiances tout à fait unique dans le panorama des musiques actuelles.

Tantôt enfant espiègle, qui grimace, qui rit tout en s’amusant avec les potentiomètres de ses consoles, tantôt grande ordonnatrice des sons, impériale face à ses machines, Leila distille une performance à la fois subtile et puissante, sans concessions ni effets de manche. D’une extraordinaire densité, le concert prend des allures de voyage hors l’espace et hors le temps, jusqu’à donner une matérialité éphémère au cinquième point cardinal de la rose des vents, ce fameux axe que la culture Chamanique considère comme le lien entre la terre et le ciel, le monde des vivants et le monde des esprits.

Réputée pour ses prestations d’une durée proportionnelle à ce qu’elle ressent elle-même des lieux dans lesquels elle se produit et des publics pour lesquels elle joue, gageons que Leila a dû être plus que comblée ce soir, car pour cette date qui clôture également son périple Européen, c’est un set de plus d’1h50 qu’elle donnera au final, dont près d’une demi-heure de rappels tout de même.

En conclusion, pour paraphraser Luca Santucci, visiblement heureux de cette prestation au point de venir dans la salle pour profiter de la fin du concert dans les conditions du live, disons simplement : « Merci Le Grand Mix », pour cette soirée vraiment hors du commun. Et, évidemment, merci aux artistes pour leur générosité et leur plaisir à partager avec nous, le public, un peu de leur immense talent.

Si l’on ajoute à cela une première partie d’une très grande qualité, assurée par les Belges de Ansatz der Maschine ― laquelle première partie mériterait d’ailleurs un compte-rendu séparé (mais cela sera vraisemblablement fait dans un avenir proche, à l’issue d’un de leurs concerts en tant que headliner) ―, alors oui, définitivement, « exceptionnel » est bien le terme qui caractérise le mieux ce à quoi nous avons pu assister en ce jeudi 26 février 2009.

Olivier Bodart