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Mariee Sioux
12/11/2009
De Kreun - Kortrijk (B)

Comme c’est très souvent le cas lorsqu’on est amateur de musiques actuelles et Lillois, c’est en terres Flamandes que nous nous retrouvons, à Kortrijk cette fois. Bye bye l’ancien Kreun de la rue J. Persyn et ses conditions un peu rudimentaires parfois, c’est dans une salle flambant neuve que l’équipe emmenée par Stijn Roggeman ½uvre désormais, avec toujours le même motto : satisfaire les tympans les plus exigeants. Accolée au Conservatoire et à proximité immédiate de la Gare Centrale et d’un parking gratuit à partir de 18 heures (judicieux, n’est-ce pas ?), cette nouvelle aire dédiée aux sons les plus pointus bénéficie d’une architecture minimaliste particulièrement réussie qui se marie à la perfection avec son environnement immédiat, à tel point qu’on pourrait penser qu’elle a toujours été là, alors que son inauguration remonte à moins d’un mois.

L’aménagement intérieur, d’une grande sobriété, a été pensé avec le souci manifeste d’offrir un confort maximal, tant aux artistes qu’au public. Eclairages diffus, sièges et canapés en mousse ici et là, ainsi que deux bars (un dans le hall d’entrée, un dans la salle), tout cela contribue grandement à entretenir la convivialité qui est de rigueur ici. Le Belge sait recevoir et cela se voit ! On serait presque tenté de conseiller aux gens du Kreun de se lancer également dans la formation à l’accueil du public, tant ils sont maîtres en la matière. En même temps, quand on voit quelle programmation ils sont parvenus à nous concocter pour ce premier trimestre (Health, Themselves, Do Make Say Think, Tortoise, Melvins, Apse…), avec des travaux en cours qui n’ont pas dû faciliter les choses, on ne leur en voudra pas de se concentrer exclusivement sur la musique qu’ils hébergent en leur lieu.

Un balcon en U surplombe le parterre, portant la jauge à 600 spectateurs environ. La scène est vaste, quoiqu’un peu basse en cas de forte affluence, et la hauteur sous plafond permet de travailler de très belles lumières. Quant à l’acoustique, elle est simplement digne d’un auditorium ; le son déployé est d’une profondeur et d’une précision à couper le souffle, même en cas de volume élevé et que l’on soit placé au premier ou au dernier rang, au centre ou sur les côtés. Bref, inutile de photographier la salle pour le souvenir, on sait déjà qu’on y reviendra le plus souvent possible.

L’affiche de ce soir n’a pas attiré les foules ; une petite centaine de spectateurs se partage le parterre, si bien que chacun prend ses aises. Il faut dire que Mariee Sioux tourne toujours en support de Faces In The Rocks, son premier véritable album paru en 2007, et qu’elle a déjà abondamment sillonné nos contrées au cours de ces deux dernières années.

En attendant la jeune Californienne, c’est Matt Bauer qui occupe la scène. Tout fan de Slayer Electric Electricqui le croiserait par hasard tomberait instantanément en syncope, car le bonhomme ressemble à s’y méprendre à Kerry King ; même carrure, même crâne rasé, même longue barbe touffue. Mais toute comparaison avec le guitariste de la formation de métal extrême s’arrête là, car le New Yorkais donne plutôt dans la douceur et l’introspection. S’accompagnant le plus souvent à la guitare, mais aussi parfois au banjo, Matt Bauer est épaulé par un contrebassiste qui apporte beaucoup de relief en même temps qu’une touche évidente de mélancolie aux titres interprétés. Sa voix, d’une sensibilité vibrante, se pose à la perfection sur ces mélodies sombres et délicates qui semblent faites pour accompagner les songes, une nuit d’automne par temps de pluie. On aimerait que certaines compositions s’autorisent des développements plus nourris ; mais l’enchaînement intelligent et d’une grande fluidité de morceaux généralement brefs pallie à cette petite carence.  

Pour Rose and Vine, le titre phare de son dernier album, qui pourrait bien le voir chasser sur les terres d’un certain Bon Iver, Matt Bauer est rejoint sur scène par une Mariee Sioux qui semble complètement terrorisée. Pourtant, le public est tout à fait conquis et disposé à l’écoute ; mais peut-être est-ce cette attention appliquée qui perturbe la jeune artiste.

Après un ultime titre, Matt Bauer regagne les coulisses, non sans avoir chaleureusement remercié les spectateurs. Un bien joli début de soirée !

L’impression laissée par Mariee Sioux lors de son interprétation en duo avec Matt Bauer se Mewconfirme dès son entrée en scène : elle est en proie à un stress palpable. Après avoir enchaîné les dates dans des cafés et autres lieux non dévolus à la musique, la chanteuse a simplement perdu l’habitude des vraies salles ; et comme celle-ci en est définitivement une, et de quelle envergure… 

Heureusement, une fois le premier titre achevé, la tension se relâche et la prestation prend aussitôt un tout autre tour. Seule à la guitare acoustique, Mariee Sioux dépouille ses morceaux de ce trop-plein d’arrangements et de production qui avaient fait de son CD une ½uvre certes jolie mais assez quelconque somme toute, d’autant plus que peu après, une certaine Emily Jane White avait publié un premier album s’inscrivant dans le même registre musical mais autrement mieux ficelé. Toutefois, contrairement à cette dernière, qui se contentait de reproduire en live le son du studio au demi-ton près jusqu’à rendre sa prestation inintéressante (> review), Mariee Sioux parvient elle à sublimer ses compositions et à en extraire la quintessence.

Guitariste émérite, l’Américaine tricote des accords arpégés de toute beauté, plaçant ici et là de subtiles accélérations de la main droite sans que cela entraîne la plus petite modification de tempo de son phrasé doucereux et cristallin. Servie par un son, disons-le une fois encore, d’une pureté exceptionnelle, Mariee Sioux parvient à captiver son audience avec ses mélodies finement ciselées qui prennent une dimension nouvelle ainsi déshabillées de tout artifice. Il est vrai que c’est là tout ce qu’on lui demande ; mais comme les artistes capables de tenir une scène à la force de leur seul talent se font de plus en plus rares, cela mérite d’être signalé.

Après 65 minutes de concert, y compris un duo avec Matt Bauer accompagné de son banjo pour l’occasion et un (vrai) rappel, Mariee Sioux disparaît derrière les lourdes tentures noires qui habillent le fond de la scène. Un petit coup d’½il à la setlist restée au pied du micro indique que la chanteuse a très largement improvisé son set, rajoutant ici et là quelques morceaux au gré de ses envies.

On espère de tout c½ur que Mariee Sioux saura conserver cette sincérité et cette authenticité brutes pour la réalisation de son prochain album, car elle dispose de tout ce qu’il faut pour produire une grande ½uvre. La musique, finalement, cela ressemble assez à la bonne cuisine : quand on dispose d’ingrédients de base de qualité, il est inutile de les noyer dans le superflu, une pincée de sel et un peu de poivre suffisent généralement.

Olivier Bodart


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